Décret n°80/76 du 3 septembre 1976
Portant fixation des modalités de conservation et de protection du patrimoine historique et culturel du peuple angolais, et annulant toute législation antérieure en la matière, à l'exception des articles pertinents du code disciplinaire des FAPLA et de la réglementation relative à la détention et à l'usage des trophées de chasse

PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE

Cinq siècles de répression et d'exploitation du peuple angolais pratiquées par un colonialisme effréné et par un capitalisme particulièrement rétrograde, qui ont été, en définitive, cinq siècles de combat, ont profondément marqué le territoire national et ses populations. Mais ils n'ont pas réussi pour autant à juguler la force créatrice de notre peuple, de ses intellectuels, de ses artistes.

Pendant ces cinq siècles, le peuple n'a cessé de personnaliser et de parfaire son talent qui prit des formes toujours nouvelles dans la lutte contre la domination coloniale ; c'est ainsi que notre peuple entendait affirmer son droit à être indépendant et à occuper la place qui lui revient au sien des nations libres et de l'humanité tout entière.

Tout au long de ces siècles, le peuple angolais, ainsi que ses intellectuels les plus représentatifs, ont contribué à édifier une culture nationale, populaire et révolutionnaire parce que fondée sur la réalité objective de leur histoire et la subjectivité collective des masses.

Mais pendant ces cinq siècles, l'administration coloniale stimulée par les besoins culturels du monde capitaliste, par l'avidité et l'égoïsme des colons et par la corruption de ses fonctionnaires, a essayé de son côté de disperser la richesse culturelle créée par le peuple et les documents qui illustrent la vérité historique de la nation angolaise, vérité parfois dramatique, souvent sévère à l'encontre de l'exploitation dont elle a été victime.

C'est ainsi qu'une grande partie du patrimoine historique et culturel du peuple angolais orne les musées de l'Europe capitaliste ou des Etats-Unis d'Amérique.

C'est ainsi qu'une autre partie tout aussi importante de ce patrimoine se trouve, dispersée et inconnue, dans les résidences des particuliers étrangers voire même nationaux, fruit d'un vol systématique ou sous couvert d'une sorte d'ignorance ingénue du problème.

Cependant, depuis le début de la lutte armée, le MPLA suit attentivement cette situation. C'est donc depuis cette époque déjà lointaine que le MPLA étudie les problèmes de la culture angolaise et de l'histoire de notre peuple, et il connaît aujourd'hui, avec toute la rigueur scientifique voulue, la problématique relative à ces branches du savoir et de l'activité sociale.

Participant de la stratégie culturelle de notre gouvernement s'inspirant des idéaux du MPLA, dans le cadre des objectifs à atteindre dans cette bataille culturelle que nous avons décidé de gagner tout comme nous avons gagné les autres ;

Informé de l'importance que revêtent pour la nation angolaise la culture de l'humanité en général et surtout les témoignages de la culture de notre peuple et de ses intellectuels en particulier;

Conscient de l'importance de certaines dates que nous considérons comme historiques et qui, aujourd'hui encore, sont absentes des manuels ou reléguées à un rôle subsidiaire, comme par exemple l'année 1885, date à laquelle, lors de la Conférence de Berlin, l'impérialisme a scellé le pacte du partage de l'Afrique ou encore l'année 1940, au cours de laquelle le peuple Koubal a mené contre le gouvernement portugais de la colonie d'Angola la dernière guerre de résistance au colonialisme ;

Vu le programme de reconstruction nationale auquel tous les Angolais se consacrent avec ferveur ;

Attendu que la culture est assurément un secteur qui doit faire partie de ce programme de reconstruction nationale ;

Attendu que le peuple angolais doit obtenir la restitution du patrimoine extrêmement riche dont il a été illégalement dépouillé ;

Conformément à l'article 42 de la loi constitutionnelle et en application des pouvoirs qui lui sont conférés par l'alinéa (e) de l'article 32 de cette loi, le gouvernement décrète et je promulgue ce que suit :

Article 1er.
1- Tout ce qui peut être considéré comme faisant partie du patrimoine historique et culturel du peuple angolais appartient sans partage au peuple angolais et relève de la juridiction énoncée dans le présent document par les autorités de l'Etat compétentes en la matière.

2- Sont considérés comme documents historiques :
(a) les pièces ou collections archéologiques et paléontologiques classées par l'autorité compétente ;
(b) les édifices, lieux, objets de caractère spécial, statues, ponts et constructions classés monuments historiques par l'autorité compétente ;
(c) Les objets d'art ou d'artisanat populaire, angolais ou étrangers, datant de plus de 50 ans, s'il s'agit d'objets se rapportant à l'histoire récente de l'Angola ;
(d) Les documents écrits (journaux, actes législatifs, contrats, rapports, études et projets, informations, lettres de créance, bulletins, procès-verbaux, protocoles) qui ont été rédigés avant la date du 11 novembre 1975 et ne sont plus en usage ;
(e) Les documents graphiques ou photographiques de caractère public ou privé, descriptif ou analytique, concernant des faits, des objets et des phénomènes d'intérêt historique, qui ont été élaborés entre 1940 et la date de l'Indépendance de la République populaire d'Angola ;
(f) Les documents graphiques ou photographiques, quels qu'en soient la nature et le sujet, qui ont été élaborés avant 1940 ;
(g) les articles vestimentaires ou décoratifs, uniformes, habits, sacerdotaux, meubles, objets d'usage courant, etc., fabriqués avant 1940 ;
(h) Les armes ( ou parties d'armes ) de guerre, de chasse ou de parade, de fabrication antérieure à 1940, qui ne sont plus actuellement utilisées ;
(i) les Trophées de combat, quelles qu'en soient la nature et l'époque ;
(j) les restes ou pièces isolées de machines, quelles qu'elles soient, utilisées avant 1885 ;
(k) les livres et plus généralement les ouvrages bibliographiques imprimés avant 1885 ;
(l) Les drapeaux, étendards écussons, symboles officiels, papier timbré non utilisé et cachet datant d'époques antérieures à l'indépendance de la République populaire d'Angola ou relatifs aux partis fantoches et aux envahisseurs étrangers de quelque époque que ce soit ;
(m) les livres et plus généralement les ouvrages bibliographiques relatifs à l'Angola, imprimés avant 1940.

3- Sont considérés comme objets ou documents d'intérêt culturel :
(a) Les objets d'art ou d'artisanat populaire national ou étranger, qui ont été déplacés hors de leur environnement naturel et classés par les autorités compétentes ;
(b) Les objets d'art visuel de culture étrangère ou nationale qui ne sont plus propriété de leur auteur par suite d'une vente, d'une donation ou d'un prêt et sont classés par les autorités compétentes ;
(c) Les objets d'art utilitaire qui ne sont plus propriété de leur auteur et sont classés par les autorités compétentes ;
(d) Les objets d' "artisanat de qualité " qui ne sont plus propriété de leur auteur et sont classés par l'autorité compétente ;
(e) Les manuscrits des romans, de poésie, de nouvelles, d'essais, etc. qui ont été rédigés avant l'indépendance nationale et n'ont pas été publiés par suite d'une impossibilité politique ou matérielle ;
(f) Les pièces ou collections ornithologiques, entomologiques, mammalogiques, ainsi que zoologiques, botaniques, océanographiques, géologiques, et technologiques en général.
Les pièces et collections philatéliques, numismatiques et autres de caractère non spécifié ne faisant pas l'objet des paragraphes 2 et 3 du présent article, ne sont pas visées par le présent décret.

Article 2.
La direction des services de muséologie du Ministère de l'éducation et de la culture est l'autorité compétente pour inventorier, classer, détruire, conserver, déplacer, et restaurer tous les éléments du patrimoine historique et culturel du peuple angolais définis à l'article premier du présent décret ainsi que pour en déterminer les conditions d'usage.

Article 3.
1- Tout service public ou étatique, ainsi que toute entreprise privée ou particulier ayant en sa possession un quelconque objet ou document énuméré à l'article premier du présent décret, doivent en faire la déclaration auprès la direction des services de muséologie avant le 11 novembre 1976.

2- Toute infraction au libellé du présent article entraînera la confiscation immédiate du ou des objets concernés.

Article 4.
Toute copie, reproduction ou imitation fidèle d'un quelconque objet ou document énuméré à l'article premier du présent décret est formellement interdite sans l'autorisation expresse de la direction des services de muséologie.

Article 5.
1- Les organismes, entreprises ou particulier détenant des objets visés à l'article premier du présent document et autorisés à les conserver au titre d'une autorisation de la Direction des services de muséologie sont responsables de leur conservation selon les modalités prévues dans une annexe à ladite autorisation ; ils devront aviser la direction des services de muséologie du moindre début de détérioration de ces objets qu'ils pourraient constater.

2- L'autorisation de détention d'objets du patrimoine historique et culturel du peuple angolais devra faire état de classement et des conditions de conservation et d'usage des objets concernés, étant entendu que disparition de ces objets ou tout dommage irréparable devront immédiatement être déclarés et justifiés ; Au cas où la justification de l'incident ne serait pas considérée comme raisonnable, il pourra être procédé à une enquête pouvant entraîner des poursuites judiciaires.

3- Au cas où les objets couverts, par ladite autorisation seraient considérés de grande valeur, le détenteur de l'autorisation pourra être tenu de les assurer aux conditions prescrites par la direction des services de muséologie.

Article 6.
A ces fins, la direction des services de muséologie enverra des équipes d'inspection du patrimoine historique et culturel, soit auprès des organismes, entreprises et particuliers ayant déclaré posséder des objets visés à l'article premier du présent document, soit auprès de quiconque aura été dénoncé comme en détenant frauduleusement, étant entendu qu'il ne pourra être fait obstacle a leur action.

Article 7.
Les organismes, entreprises ou particuliers détenant des objets de valeur couverts par une autorisation ne pourront les aliéner, les faire sortir de pays ou les détruire sans autorisation des services de muséologie.

Article 8.
Les organismes, entreprises ou particuliers ayant obtenu l'autorisation de détenir des objets classés ne pourrons en disposer à des fins ou dans des conditions non prévues par cette autorisation sans consultation préalable de la Direction des services de la muséologie.

Article 9.
Les objets et documents d'intérêt historique visés au paragraphe 2 de l'article premier de présent document devront, après le classement opéré par les équipes d'inspections mentionnées à l'article 6, être en règle générale transférés au musée compétent, toute autre forme de détention étant donc interdite sans autorisation spéciale du Ministère de l'éducation et de la culture accordée après consultation de la Direction des services de muséologie.

Article 10.
Les objets et documents d'intérêt culturel visés au paragraphe 3 de l'article premier du présent document pourront, après leur l'inventaire et leur classement par l'autorité compétente, être attribués au musée idoine ou faire l'objet d'une autorisation de détention à titre privé sur décision de la Direction des services de muséologie.

Article 11.
Les collections privées musées privés déclarés par leurs détenteurs et couverts par l'autorisation stipulée à l'article 5 du présent document, compte tenu des articles premier et 2 de celui-ci, sont placés sous la tutelle technique et culturelle de la Direction des services de muséologie et doivent obéir scrupuleusement aux directives qui émanent de cette autorité, sous peine de confiscation immédiate.

Article 12.
La Direction des services de muséologie de Ministère de l'éducation et de la culture poursuivra ses efforts afin de récupérer, par le truchement des instances compétentes, les objets historiques et oeuvres d'art constituant le patrimoine historique et culturel du peuple angolais qui se trouve hors du pays.

Article 13.
Le présent décret rentre immédiatement en vigueur et annule toute la législation antérieure en la matière, exception faite des articles pertinents du code disciplinaire des FAPLA et de la réglementation relative la détention et à l'usage des trophées de chasse.

Vu et approuvé par le conseil des Ministres.

Promulgué le 8 octobre 1976.

Pour publication.

Le premier ministre chargé de la présidence,
Lopo Fortunato Ferreira do NASCIMENTO.