Loi n°85-40/AN-RM relative à la protection et à la promotion du patrimoine culturel national

L'Assemblée nationale a délibéré et adopté en sa séance du 14 mai 1985,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article 1er. -
La protection et la sauvegarde du patrimoine culturel sont assurées par l’Etat.

Article 2. -
Aux termes de la présente loi, on entend par patrimoine culturel l'ensemble des biens meubles et immeubles qui, à titre religieux ou profane, revêtent une importance pour l'histoire, l'art, la pensée, la science et la technique.

Article 3. -
Par biens meubles, on entend des biens qui pourront être déplacés sans dommage pour eux-mêmes et pour leur environnement.
Par biens immeubles, on entend des biens qui, soit par nature, soit par destination, ne peuvent être déplacés sans dommage pour eux-mêmes et pour leur environnement.
Entrent notamment dans ces catégories les sites, les monuments, les biens archéologiques, les biens historiques, les biens ethnographiques, les ensembles architecturaux, les oeuvres d'art, les collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et les objets présentant un intérêt paléontologique.

Article 4. -
L'Etat jouit d'un droit de préemption sur tout bien susceptible d'enrichir le patrimoine culturel de la Nation.

TITRE II : DE LA PROTECTION

Article 5. -
La protection est constituée par l'ensemble des mesures visant à défendre les biens culturels tels que définis à l'article2 de la présente loi contre la destruction, la transformation, les fouilles et l'exploitation illicites.

Article 6. -
A cet effet on procédera à l'inscription à l'inventaire et au classement des éléments constitutifs du patrimoine culturel.

SECTION I : DE l'INSCRIPTION A L'INVENTAIRE

Article 7. -
L'inscription à l'inventaire consiste à l'enregistrement des biens meubles ou immeubles appartenant à l’Etat, aux collectivités locales, aux associations ou à des personnes physiques ou morales qui, sans justifier une nécessité de classement immédiat, présentent, au point de vue de l'histoire de l'art, de la pensée, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation.

Article 8. -
L'inscription à l'inventaire est prononcée par décision de l'autorité compétente qui la notifie au propriétaire, au détenteur ou à l'occupant du bien.

Article 9. -
L'inscription entraîne l'obligation pour le propriétaire, le détenteur ou l'occupant du bien, d'informer l'autorité compétente un mois avant d'entreprendre toute action affectant la vie du bien: destruction, transformation, réparation, restauration. L'autorité compétente ne pourra s'opposer à la dite action qu'en engageant une procédure de classement.
En cas d'aliénation ou de transfert, le propriétaire ou le détenteur est tenu d'en informer l'autorité compétente dans les trente jours qui suivent l'acte.

SECTION II : DU CLASSEMENT

Article 10. -
Le classement est l'acte par lequel l ' Etat, par la voie de l'inscription des biens culturels dans le registre créé à cet effet, impose au propriétaire, détenteur ou occupant desdits biens des servitudes en grevant l'utilisation ou la disposition.

Article 11. -
La proposition au classement est faite par l'autorité compétente qui la notifie au propriétaire, au détenteur ou l'occupant.
Toutefois, lorsque le bien culturel appartient à l'Etat ou à des collectivités locales, le classement peut intervenir sans une proposition de classement.

Article 12. -
L’exportation d'un bien proposé au classement est interdite.
Le déplacement, le transfert de la propriété des biens proposés et tous les travaux autres que ceux d'entretien normal ou d'exploitation courante doivent faire l'objet d'un préavis de trois mois.

Article 13. -
La proposition au classement permet à l'autorité compétente, pendant toute la durée de cette proposition, de s'opposer au déplacement, au transfert de lieu ou de propriété de biens proposés au classement ou à tous travaux autres que ceux d'entretien normal ou d'exploitation courante.

Article 14. -
La proposition au classement devient caduque, si elle n'est pas suivie, dans les six mois de la notification, d'une décision de classement.
La proposition au classement peut être prorogée en cas de besoin dans tous les cas, la durée totale ne peut excéder 18 mois.

Article 15. -
Le classement est prononcé par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre chargé de la culture après avis d'une commission instituée à cet effet.
Le propriétaire, le détenteur ou l'occupant doit, à sa demande, être entendu par la commission.
Le classement est notifié au propriétaire, au détenteur ou à l'occupant par l'autorité compétente.

Article 16. -
Toute opposition au classement d'un bien doit faire l'objet d'un recours devant l'autorité judiciaire compétente.

SECTION III : DES EFFETS DU CLASSEMENT

Article 17. -
Un bien classé ne peut ni être détruit, ni faire l'objet de travaux de restauration ou de modification sans le consentement de l'autorité compétente qui assure le contrôle de l'exécution desdits travaux.

Article 18. –
Les biens classés appartenant à l'Etat et aux collectivités locales sont inaliénables.
Cependant leur jouissance peut être transférée à un établissement public ou d'utilité publique.

Article 19. -
Quiconque aliène un bien classé à titre gratuit ou à titre onéreux est tenu, sous peine de nullité de l'acte d'aliénation, de faire connaître au bénéficiaire le statut de ce bien avant l'accomplissement de l'acte d'informer l'autorité compétente dans les quinze jours de l'acte d'aliénation dudit bien.
L'autorité compétente a un droit de suite sur tout bien classé illégalement aliéné.

Article 20. -
L'aliénation de matériaux ou de fragments illégalement détachés d'un bien culturel classé, de même que tout acte ayant pour effet de transférer à des tiers la possession ou la détention de tels matériaux ou fragments, sont nuls et de nullité absolue.
Les tiers solidairement responsables avec les propriétaires de la remise en place desdits matériaux et fragments qui leur auraient été livrés, ne peuvent prétendre à aucune indemnité de la part de l'Etat.

Article 21. -
Aucun bien classé ou proposé au classement ne peut être compris dans une enquête aux fins d'expropriation pour cause d'utilité publique ou dans une zone d'aménagement foncier, s'il n'est préalablement déclassé, ou si la proposition au classement n'est rapportée en raison de la propriété, hautement justifiée, accordée à l'opération foncière envisagée sur les considérations d'ordre culturel.

Article 22. -
Même en cas de priorité hautement justifiée dont il est question à l'article 21, les autorités chargées de l'opération foncière sont tenues, avant d'entreprendre toute action, de procéder aux études archéologiques et historiques de leurs zones d'intervention.

Article 23. -
Aucune construction ne peut être édifiée sur un terrain classé ou adossé à un immeuble classé, et aucune servitude conventionnelle ne peut être établie à la charge d'un immeuble classé sans autorisation de l'autorité compétente.
Les servitudes légales de nature à dégrader des immeubles ne sont pas applicables aux immeubles classés ou proposés au classement.

Article 24. -
L'exportation de tout bien classé est interdite. Cependant, dans certaines circonstances, l'Etat peut accorder une autorisation spéciale d'exportation temporaire.

Article 25. -
Le classement entraîne pour le propriétaire, le détenteur et l'occupant du bien classé l'obligation d'en assurer la protection et la conservation.
Le classement entraîne, en outre, l'obligation pour les collectivités locales et l'Etat de participer aux travaux de restauration, de réparation ou d'entretien du bien.
L'Etat peut, pour cause d'intérêt public, exproprier à titre temporaire ou à titre définitif tout bien classé pour en assurer la protection en cas d'incapacité d'entretien normal du propriétaire.

Article 26. -
L'Etat peut exproprier, dans les formes prévues par la législation sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, les propriétaires de leurs biens classés ou proposés au classement, ainsi que les propriétaires de biens dont l'acquisition est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir les biens classés.
La déclaration d'utilité publique d'un bien entraîne de plein droit son classement.

Article 27. -
Tout terrain classé inclus dans un plan d'urbanisme constitue une zone non-aedificandi.
L'apposition d'affiches ou l'installation de dispositifs de publicités est interdite sur les monuments classés et éventuellement dans une zone de voisinage déterminée par voie réglementaire dans chaque cas d'espèce.

Article 28. -
L'exploitation et la reproduction à but lucratif d'un bien classé sont soumises à l'autorisation de l'autorité compétente.

Article 29. -
Le classement d'un bien peut donner lieu au paiement d'une indemnité de réparation du préjudice pouvant en résulter.
Cette action doit être introduite dans un délai de six mois de la notification du décret de classement au propriétaire, au détenteur ou à l'occupant dudit bien.

Article 30. -
Les effets du classement suivent le bien en quelque main qu'il passe.

SECTION IV : DU DECLASSEMENT

Article 31. -
Le déclassement consiste à soustraire aux effets du classement un bien culturel préalablement classé.

Article 32. -
Le déclassement est prononcé par décret pris en Conseil des Ministres.

TITRE III : DE LA SAUVEGARDE ET DE LA PROMOTION DU PATRIMOINE CULTUREL

SECTION I : DE LA SAUVEGARDE

Article 33. -
Les fouilles et prospections archéologiques sont soumises à l'autorité compétente.

Article 34. -
Compte tenu de la nature spécifique de certains grands travaux et la réalisation de grands barrages et autoroutes, le volet archéologique devra être inclus dans les frais d'étude de faisabilité desdits ouvrages.

Article 35. -
La commercialisation et l'exportation des biens non classés sont soumises à l'autorisation de l'autorité compétente.

SECTION II : DE LA PROMOTION

Article 36. -
L'Etat reconnaît :
- à tout citoyen le droit d'accès aux valeurs du patrimoine,
- aux artisans, aux artistes et autres créateurs le droit à l'aide et à l'encouragement.

Article 37. -
L'Etat garantit et assure l'exercice de ces droits :
1) par la création et l'encouragement des musées, des collections de toutes sortes ;
2) par la fixation par l'image et le son des traditions culturelles de la nation ;
3) par l'organisation des archives écrites, visuelles et sonores ;
4) par l'information et l'éducation sous toutes ses formes, en particulier par l'insertion des valeurs du patrimoine culturel dans les programmes d'éducation, d'enseignement et de formation des établissements, tant publics que privés, à tous les niveaux :
- l 'entretien, la conservation et l'enrichissement culturel,
- le soutien et l'encouragement des artisans, des artistes, des auteurs et autres créateurs.
5) par des mesures favorisant l'intégration prioritaire des oeuvres nationales ou africaines, individuelles ou collectives de toutes sortes dans la vie nationale.

TITRE IV : DES SANCTIONS

Article 38. -
Toute infraction aux articles 9, 12 de la présente loi sera punie d'une Amende de 2.500 FCFA sans préjudice de l'action en dommages et intérêts qui pourra être exercée par l'autorité compétente.

Article 39. -
Quiconque aura enfreint les dispositions des articles 17, 18, 19, 20, 24, 27 de la présente loi sera punie d'une peine d'emprisonnement allant de trois ans et d'une amende de 2.500 à 2.000.000FCFA sans préjudice de tous dommages et intérêts.

Article 40. -
Toute violation de l'article 28 est passible d'une amende de 25.000 et 150.000FCFA sans préjudice de tous dommages et intérêts

Article 41. -
Tout acte de vol, de pillage de bien culturel ou de dégradation et destruction commis sur un bien culturel est passible d'une peine d'emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 250.000 à 1.000.000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement.

Article 42. -
Qui conque aura enfreint les dispositions de l'article 35 sera puni d'une amende de 25.000 à 250.000 FCFA, sans préjudice de la confiscation du bien.

TITRE V : DISPOSITIONS FINALES

Article 43. -
Toutes dispositions antérieures contraires sont abrogées notamment la loi n° 56-1106 du 3 novembre 1956 relative à la protection des monuments naturels, des sites et des monuments de caractère historiques, scientifiques ou relevant du Ministère de la France d'Outre- Mer, et l'Ordonnance n° 52/CMLN du 3 octobre 1969 portant règlement de la protection et de l'exportation des objets d'art.

Koulouba, le 26 juillet 1985

Le Président de la République
Général Moussa Traoré